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02/12/2016

Une note de Pablo MELANKOLIKOVITCH - Partisan Pointdevuepointilliste.

         On est rentrés en traversant Roanne, l’autre soir. Il était aux environs de 19h00, il faisait déjà nuit. La circulation, relativement fluide, me permettait de regarder autour de nous avec cette attention que, d’habitude, puisqu’au volant, je ne peux porter à l’extérieur. Ils avaient quelque chose d’infiniment touchant, tous ces gens sur les trottoirs qui s’activaient, chacun à son affaire, chacun dans son monde de préoccupations, de réflexions intérieures, chacun dans sa bulle cosmique, dérivant au gré des rues, tendu vers les choses à faire avant de rentrer.

         Un sentiment d’étrangeté, dont je savais la source purement visuelle, me travaillait depuis que nous avions rejoint les zones commerçantes du Centre-ville. Quelque chose de ce spectacle que j’avais sous les yeux - rien : la ville et ses trottoirs, les passants - ne cadrait pas avec l’enregistrement que j’en possédais.

         Jusqu’au moment où j’ai fini par comprendre. L’éclairage public était éteint. Par mesure d’économie sans doute.         

         Sans nul doute.

         Il est désormais bien connu que le secteur public de l’économie nationale doit faire amende honorable, car il est cause de grande gabegie. Le coupable, ainsi désigné, a donc décidé de fournir des gages de bonne volonté, de se déculotter devant les passants, et de céder au geste de supplication suprême que la nation, et la commune toute entière, attend.

         A genoux le Service Public. Implore la mansuétude de la foule, de ce peuple que, sans vergogne, jour après jour, tu as odieusement dépouillé !

         Le chœur des fonctionnaires (l’ensemble de tous ceux que la manne publique continue d’engraisser) :

-              « Oh, pardon, mille fois pardon, public d’amour, citoyens adorés ! Je le jure : je ne m’en suis pas rendu compte. J’ai usé et abusé de vos faveurs, avec outrance et dédain, dépensé sans compter, additionné sans jamais penser à soustraire, et - mon embonpoint et mes effectifs pléthoriques en témoignent - ma bonne santé n’est que le fruit de l’impudence et de l’égoïsme le plus éhonté.

Je sollicite ton pardon, peuple révéré.

Aussi, pour en obtenir la moitié du début du quart suis-je prêt à montrer patte blanche. Mon premier geste de contrition sera d’éteindre les lumignons et réverbères, dont l’onéreuse et implacable clarté vous éblouit et filtre jusqu’au fond de vos portefeuilles vides, pour le blesser, le traumatiser durablement. « 

Oui. Mais il n’y avait pas que ça. Car malgré l’absence d’éclairage public, les artères de la Ville baignaient dans la lumière. Je me souviens d’ailleurs de l’avoir trouvé curieusement « ras le trottoir », basse, restreinte. Il lui manquait une dimension spatiale évidente, et c’était celle de la verticalité.

De cette brillante déduction a découlé tout naturellement le constat suivant : la manne lumineuse provenait des commerces. Et uniquement d’eux. Magasins, boutiques et échoppes diverses s’étaient accaparés le don de déverser dans les rues la clarté salvatrice.

Cet éclairage cru, presque étanche, suffisait visiblement au cœur de la Cité pour vivre, pour fonctionner.

Qui l’eut cru ? Le Commerce était devenu en définitive cette force qui éclairait la rue, permettait aux gens d’aller et venir en sécurité, sans risquer par mégarde de se prendre un réverbère désormais inutile de plein fouet. Merci Ô Grand Dieu du Commerce de placer le Public sous tes auspices les plus favorables, de lui permettre ainsi, en déployant tes belles ailes criardes - plumes de néon et de plastique fluo - de se déplacer au milieu de ses semblables ! Rester humain, c’est cela l’important.

Le paradoxe me semblât savoureux. Une fois de plus, les valeurs marchandes raflaient la mise, imposaient leur volonté. Le Service Public avait eu beau se vautrer dans les délices suspects de l’humiliation, rien n’y avait fait : l’argent avait conquis le terrain. Et pire, il avait supplanté son rival dans ses missions auprès des citoyens.

C’était ainsi : nous tous, citoyens, étions devenus, d’un coup de baguette lumineuse, des clients.

Je tournais la tête soudain, vaguement écoeuré. Et faillit emboutir la voiture qui avait surgi sur ma droite. Bof, me dis-je, cela fera viendra agrémenter le chiffre d’affaires d’ un de nos gentils carrossiers.

Et ça, c’est rendre service au Public.

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